Alors que l’un des plus grands salons annuels du jeu vidéo vient de s’achever à Los Angeles, parlons jeux vidéos et archéologie !
Très tôt, le jeu vidéo a fait appel à l’archéologie pour enrichir ses univers fictionnels et continue d’ailleurs encore aujourd’hui de le faire : de Lara Croft, aux jeux de stratégie, grâce aux experts et conseillers techniques de Kingdom Come delivrance, des petites productions confidentielles comme archeoShinar aux gros titres très médiatisés tels qu’Assassin’s creed, ou encore des jeux les plus fantaisistes comme La-mulana aux serious games présents dans certains musées…
On le voit, les liens entre archéologie et jeux vidéos sont nombreux et variés qu’ils soient de simples prétextes au design des éléments du décor (Titan quest), qu’ils visent à une reproduction la plus réaliste possible, qu’ils réutilisent des clichés habituels (Unwritten Tales) ou cherchent une fidèle représentation du métier (Heaven Vault).
Il semble donc important aujourd’hui de ne pas délaisser cet aspect de la réception de l’archéologie tant le sujet est riche et complexe. Il n’est pas étonnant de voir se développer et se structurer de plus en plus l’archéogaming, que cela soit en anglais ou (un peu) en français.
Comme ses ramifications sont multiples, nous allons aborder ce sujet de différentes manières (interviews, dossiers, vidéos, livres, …) afin d’observer et de réfléchir au mieux aux thématiques et problématiques de cette nouvelle discipline. Il s’agira ainsi :
- d’aborder l’historique et l’évolution de l’archéologie vidéoludique
- d’établir une typologie des représentations ;
- de questionner la moralité et l’éthique culturelle au sein des jeux vidéos ;
- de réfléchir à l’apport et à la construction des sérious game pour la science archéologique ;
- de discuter de la place et du développement de l’archéogaming aujourd’hui ;
- d’aller à la rencontre de plusieurs de ses acteurs (chercheurs, développeurs, joueurs…) ;
- et bien d’autres choses encore !
Commençons donc aujourd’hui cette exploration avec l'interview de Camille Allard, journaliste jeu vidéo pour le site gameblog.fr, qui a gentiment accepté de répondre à toutes nos questions.
De plus en plus de jeux font appels à des experts des disciplines historiques pour créer des environnements réalistes. On pense évidemment à Assassin’s creed ou Kingdom Come. Pensez-vous que cette démarche va se généraliser, se banaliser ? À la fois dans les AAA mais aussi pour les jeux indés ?
Les joueurs sont de plus en plus pointilleux, d'autant qu'il peuvent accéder en quelques clics à des encyclopédies pour démêler le vrai du faux. Mais il y a aussi un public pour cela. Si l'on prend par exemple les joueurs des Wargames Paradox Interactive (dont je fais partie), ce sont des amoureux d'Histoire et la demande est forte du côté du public pour avoir la vision la plus proche possible de la vérité. Kingdom Come fut vendu dès le début comme étant un jeu médiéval historique "avec des donjons mais sans dragons". Et le succès qu'il a rencontré prouve qu'il y a réel désir d'historicité.
Le recours à ces experts est maintenant un argument marketing que les éditeurs n’hésitent pas à mettre en avant. À votre avis quel impact auprès des joueurs a cette campagne ? Est-ce que, selon vous, cela répond à une vraie demande du public ou bien cela crée-t-il un marché nouveau ?
C'est un moyen de dire à son public "Regardez, on ne vous prend pas pour des ânes et nous sommes sérieux dans notre travail". Faire appel à des spécialistes est donc une nécessité absolue pour les studios, car il en va de leurs crédibilités à raconter de belles histoires dans le réel. La demande du public est réelle, même s’il reste toujours des joueurs qui y sont totalement allergiques. Le récent succès du jeu A Plague Tale Innocence des français de chez Asobo en est une nouvelle preuve. L'argument de l'historicité fonctionne au même titre que dans le cinéma et la mention "cette histoire est tirée de faits réels", sans forcément être un gage de qualité, c'est une notion importante qui permet à des gens de s'identifier plus facilement.
Et d’ailleurs, le jeu archéologique (ou plus généralement historique) représente-t-il selon vous une part importante du marché ?
Le jeu purement historique reste un secteur de niche. On peut reprendre l'exemple des jeux Paradox Interactive, ils ont réussi au fil du temps à se former une grosse communauté (majoritairement européenne, mais aussi avec une part non négligeable de joueurs aux USA et en Asie). Un jeu de niche n'est pas synonyme d'échec commercial. Il suffit de voir à quel point leurs jeux font généralement top 1 des ventes Steam. La demande est forte mais ça reste en effet inférieur à de gros AAA.
Il est toujours difficile de faire des généralités et il existe souvent des contre-exemples mais selon vous quel type de production est le plus soucieux des questions de réalisme : les grosses machines ou les jeux plus indépendants ?
Étrangement les petits studios indépendants sont souvent plus soucieux du réalisme historique que les grosses productions. Il suffit de voir ce que fait DICE avec Battlefield V. Le jeu est loin d'être historiquement précis, et à l'inverse du côté des FPS Seconde Guerre Mondiale historique on trouve des petites pépites comme Post Scriptum. Le problème de l'historique et le désir de réalisme, c'est que cela apporte de grosses contraintes en terme de gameplay. Et généralement les joueurs n'aiment pas les contraintes (sauf dans le public de niche encore une fois).
Kingdom Come a montré récemment qu’il était possible de toucher un large public sans sacrifier à la rigueur ou au réalisme des représentations historiques. Pensez-vous que ce succès critique et commercial restera une exception ?
Le succès commercial est dû notamment à un effet de bouche à oreille. Mais je pense sincèrement (à mon grand regret) que Kingdom Come restera une exception. Peu de studios peuvent finalement se permettre de se lancer dans un projet si "dangereux" (en terme de prise de risque).
Il y a de plus en plus de jeux flash, de serious games ou d’applications ludiques développés par des institutions et musées. Ce développement d’une production parallèle est-elle selon vous une bonne stratégie pour toucher un large public et éduquer ou serait-il nécessaire d’intégrer un circuit plus classique ?
Oui très clairement. L'engouement pour la réalité virtuelle en est l'exemple le plus flagrant. Imaginez, revivre le débarquement du 6 juin 1944 en VR... Ça aura forcément plus d'impact pour un collégien ou un lycéen qu'un livre d'histoire. C'est en effet un bon moyen de faire découvrir l'Histoire aux plus jeunes et ça peut être une bonne porte d'entrée pour les renvoyer par la suite sur du contenu plus dense comme de vrais documentaires ou des ouvrages d'historiens. Le jeu vidéo de manière générale est une excellente porte d'entrée pour découvrir l'Histoire.
Faute de temps et de moyens, il est compliqué pour les journalistes de parler de tous les jeux. Mais après avoir fait une place aux indés puis au marché mobile, pensez-vous que votre profession devrait s’emparer de cette marge du jeu vidéo et valoriser les serious games ou « petits jeux » dans la presse ?
J'essaye à mon niveau de traiter le plus possible des jeux d'Histoire et un peu hors-normes qui concernent cette discipline. Mais c'est vrai que dans notre métier le temps est un problème majeur et il faut toujours faire des choix. Et force et de constater que l'Histoire dans le JV soulève moins les foules que le dernier Call of Duty.
On a pu voir des tentatives ces dernières années de projets à l’initiative de chercheurs mais qui pâtissent d’un manque de connaissances professionnelles. Selon vous, vaut-il mieux un jeu exact sur le fond mais techniquement pauvre ou un jeu qui offre une expérience riche mais qui véhicule et/ou repose sur des clichés historiques ?
De mon côté et car je suis moi-même un grand amoureux de l'Histoire j'aurais tendance à répondre qu'il vaut mieux un jeu techniquement pauvre avec un véritable fond. Mais de nos jours les moteurs graphiques sont de plus en plus abordables et certaines personnes seules peuvent réaliser des choses incroyables. Je pense que dans les années à venir il n'est pas exclu de voir des musées et des chercheurs s'octroyer l'aide de professionnels du jeu vidéo pour offrir de véritables et belles expériences historiques et éducatives.
Entre les experts qui prennent part au développement des jeux, les groupes de recherches de type archéogaming qui examinent les jeux à leur sorties, les historiens ou politiques qui n’hésitent plus à prendre à partie ces jeux en place publique ou bien même les youtubeurs qui font des vidéos sur le sujet, pensez-vous que l’Histoire ne s’invite pas trop dans le jeu vidéo – au risque d’y perdre une partie du plaisir du jeu ?
L'Histoire humaine est tellement riche et propice à tellement de récits qu'il n'y aura jamais d'effet de "trop". Même la fiction se gorge de l'Histoire et je pense que c'est une discipline que le jeu vidéo a tout juste effleuré.
Pour conclure, pouvez-vous nous conseiller un jeu qui est selon vous respectueux des disciplines historiques et que vous adorez ? Et, au contraire, un jeu qui s’affranchit largement des réalités historiques ou archéologiques mais que vous adorez ?
A Plague Tale Innocence est un bon point de départ pour aborder le Moyen Âge et un jeu d'une grande délicatesse esthétique et historique que je ne peux que vous conseiller.
À l'inverse Assassin Creed : Origins qui est bourré de non-sens historiques et qui est teinté de mythologies reste un merveilleux voyage pour l'esprit et une très belle aventure vidéo-ludique.
Pour aller plus loin :
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